Le désir mimétique (René Girard)

Mensonge romantique et vérité romanesque : le désir mimétique

“Tout désir est désir d’être.” – René Girard.

Choisissons-nous vraiment librement nos désirs ?

A cette question, l’historien René Girard répond par la négative. Selon lui, la plupart des personnes qui croient choisir librement l’objet de leur désir succombent à ce qu’il appelle l'”illusion romantique”.

En effet, pour René Girard, le désir n’est pas authentique, il est mimétique. Cela signifie que nos désirs ne nous sont pas inspirés par un objet en lui-même mais par le désir d’une autre personne que nous imitons. Autrement dit, nous ne choisissons que des objets désignés par un autre.

Dans son premier livre “Mensonge romantique et vérité romanesque”, René Girard dévoile ainsi les motifs cachés d’une des conduites humaines en apparence les plus libres : le désir individuel.

Dans cet article, vous découvrirez plus en détail sa théorie du désir qu’il appelle “désir mimétique” ainsi que quelques enseignements pratiques.

Comprendre le désir : le désir mimétique

Selon la théorie du désir mimétique, le désir ne va pas directement d’un sujet à un objet; le désir passe par la médiation d’un modèle dont le sujet imite le désir. Ainsi, c’est l’autre qui suggère et déclenche en nous le désir. Le désir est donc un “désir selon l’autre” et non pas un “désir selon soi”.

Le désir est triangulaire

Pour Girard, l’homme est un animal mimétique qui se choisit (généralement inconsciemment) des modèles auxquels il se compare et parfois s’identifie. En tant que tel, il guide ses conduites par l’imitation passionnée d’un modèle doté bien souvent d’un prestige arbitraire.

C’est ainsi qu’un objet dévient désirable et désiré aux yeux d’une personne simplement parce que son modèle (qui joue le rôle d’un médiateur) lui communique son prestige en le possédant ou en désirant le posséder. A noter que plus la personne se rapproche du modèle et plus le désir deviendra contagieux et concurrentiel.

Tout désir est désir d’être

Choisir c’est donc toujours se choisir un modèle. Et derrière cet acte se cache l’envie de changer.

Girard en déduit que le désir n’est donc pas désir d’avoir; le désir est désir d’être.

Il fonde son analyse sur l’étude des héros décrits par les plus fins romanciers. Par exemple, Don Quichotte tentait d’imiter le chevalier Amadis de Gaule.

“Ainsi donc, j’estime, Sancho mon ami, que le chevalier errant qui l’imitera le mieux sera le plus proche d’atteindre la perfection de la chevalerie.” – Don Quichotte, cité par René Girard.

Les héros analysés par Girard ne font pas confiance à leurs propres choix et ils abandonnent donc implicitement leur liberté de désirer. Ils préfèrent imiter leur modèle – qu’ils considèrent supérieur – auquel ils empruntent inconsciemment les désirs jugés supérieurs. Ce faisant, ils ne réalisent pas que leurs désirs ne sont plus authentiques mais imités.

En vérité, ils ne désirent pas avoir ce que leur modèle désire avoir; ils désirent devenir leur modèle.

L’historien parle de “désir métaphysique” dans le sens où c’est l’être du modèle qui est recherché.

Qui pense que le désir est désir d’avoir s’expose à la frustration infinie

Lorsqu’une personne parvient à obtenir ce qu’elle pensait être l’objet de son désir, elle devient frustrée. Elle réalise alors que ce n’était pas l’objet qui suscitait son désir. Elle comprend que l’objet n’a jamais eu la valeur initiatique ou transformative qu’elle lui supposait.

“C’est l’objet soudainement désacralisé par la possession et réduit à ses propriétés objectives qui provoque la fameuse exclamation stendhalienne : “Ce n’est que cela !”” – René Girard.

La possession d’un objet ne transforme pas un être; ce qui transforme un être c’est la longue quête imitative pour ressembler au (voire dépasser le) modèle choisi. Il ne faut donc pas confondre le désir d’être avec le désir d’avoir.

Le sujet inconscient de cela et focalisé sur le désir d’avoir va traverser vainement l’existence de désir en désir. Il se fera parfois désigner un nouvel objet par son médiateur ou bien il changera de médiateur à cause des déceptions successives. Mais dans tous les cas, au bout du chemin, c’est la frustration qui l’attend.

“Chaque fois qu’il recommence à désirer et s’avance vers l’objet, il croit quitter cette prison mais il l’emporte avec lui.” – René Girard.

Quelques enseignements pratiques du désir mimétique

“A l’origine d’un désir, il y a toujours le spectacle d’un autre désir, réel ou illusoire.” – René Girard.

Pour susciter le désir d’un produit chez une personne, montrez que d’autres personnes (à qui elle veut ressembler) sont intéressées par le produit.

Pour susciter le désir chez une personne, faites en sorte de vous faire désirer par quelqu’un que cette personne estime (éveillez son intérêt ou sa jalousie).

Le désir est renforcé par les obstacles. Utilisez à bon escient des obstacles pour renforcer le désir chez une personne.

L’effet contagion du désir : plus un objet est désiré par des personnes et plus d’autres personnes se mettront à désirer le même objet. Par exemple, parfois dans les investissements, les gens n’achètent plus un actif financier pour ses propriétés mais parce qu’ils imitent les autres qui le font (le copy trading tardif, soit l’opposé de l’investissement contrarien).

L’entrepreneur ou le salarié devra se poser la question suivante : “est-ce que je bâti ce que je désire ou bien suis-je en train de bâtir ce que quelqu’un d’autre désire (et qui ne me correspond pas) ?”

Pour susciter votre désir de façon stratégique, soit trouver l’inspiration qui vous convient, choisissez consciemment pour modèle une personne dont vous imiterez inconsciemment les désirs (intégrez des groupes qui ont pour intérêt le désir que vous souhaitez avoir ou maintenir).

Pour retrouver votre autonomie individuelle et désirer intelligemment, ne vous demandez pas ce que vous désirez avoir (“mensonge romantique”) [1], demandez-vous plutôt ce que vous désirez être (“vérité romanesque”). La vraie question pour comprendre son désir n’est pas “qu’est-ce que je veux ?” mais “à qui est-ce que je veux ressembler ?”.

Note

[1] René Girard appelle “mensonge romantique” le raisonnement de niveau 1 selon lequel les désirs sont authentiques et directs (dissimulation du rôle du médiateur dans le mécanisme du désir); il appelle “vérité romanesque” le raisonnement de niveau 2 qui comprend que les désirs sont imités (dévoilement du rôle du médiateur).

Pour aller plus loin : Lire le livre “Mensonge romantique et vérité romanesque” de René Girard.

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