The Art of Strategy : L’art de la stratégie

The Art of Strategy : Stratégie et théorie des jeux

“Nous sommes tous des stratèges que nous le voulions ou non. Et il vaut mieux être un bon stratège qu’un mauvais”.

L’art de la stratégie

La vie est une combinaison de jeux que l’on joue quotidiennement. Etes-vous conscient des jeux que vous jouez ? Et est-ce que vous les jouez bien ?

Bref, êtes-vous un bon stratège dans votre vie quotidienne ? Que ce soit le cas ou pas, les enseignements de la théorie des jeux peuvent vous aider à améliorer vos stratégies.

Dès que vous êtes dans une situation dans laquelle le résultat de vos choix dépend du résultat du choix d’au moins une autre personne, vous êtes dans un jeu. Pour le dire rapidement, un jeu désigne une situation d’interdépendance dans laquelle il y a un enjeu.

Négocier, voter, séduire, viser une promotion, tenter de s’approprier un marché, etc., toutes ces situations sont des jeux. Et la théorie des jeux a pour objectif de définir la (ou les) stratégie(s) permettant d’obtenir le meilleur résultat possible dans un jeu donné.

Une stratégie c’est l’art d’anticiper les prochains mouvements d’un adversaire en sachant qu’il fera pareil. La plupart des stratégies que vous utilisez dans la vie courante proviennent de vos intuitions, de vos expériences et de votre réflexion. Mais les principes issus de la science en général, et de la théorie des jeux en particulier, peuvent vous guider dans vos stratégies.

Le livre The Art of Strategy a été écrit par deux économistes (Avinash K. Dixit et Barry J. Nalebuff). Leur objectif est de vous donner des modèles mentaux pour vous aider à prendre des décisions de façon stratégique. C’est-à-dire, vous apprendre à mieux jouer les jeux de votre quotidien.

Cas 1 : Jeu séquentiel
Stratégie optimale : Projeter et raisonner à l’envers

Un jeu séquentiel désigne une situation dans laquelle les décisions sont prises les unes après les autres. Par exemple, dans un jeu à deux joueurs : Joueur 1 fait action 1; puis joueur 2 fait action 2; puis joueur 1 fait action 3; joueur 2 fait action 4; etc.

Dans un jeu séquentiel, la pensée est linéaire. Chacun des joueurs pense : “si j’agis comme cela, alors mon adversaire fera ceci et je pourrais répondre ainsi, etc”. Ce style de jeu se résout en utilisant un arbre de décision:

Arbre de décision

L’arbre permet de projeter l’ensemble des combinaisons possibles de choix pour arriver à différents résultats finaux. Chaque enchaînement de choix constitue une stratégie possible. La stratégie qui donne le meilleur résultat (en fonction des choix adverses) est la meilleure stratégie. Ensuite, il n’y a plus qu’à l’appliquer en remontant au début de l’arbre de décision.

Cas 2 : Jeu simultané avec conflit personnel et intérêt commun
Stratégie optimale : Coopérer

Dans un jeu simultané qui comporte une dimension de conflit, mais également une dimension importante d’intérêt commun, la coopération prend une importance stratégique primordiale. En effet, dans ces situations, l’intérêt personnel peut amener les joueurs à réaliser des actions qui sont mauvaises pour l’intérêt du groupe. Seule la coopération permet de concilier l’intérêt individuel et l’intérêt du groupe (qui est l’intérêt individuel bien compris) car elle permet la coordination des actions des joueurs.

Le dilemme du prisonnier (jeu à 2 joueurs) ainsi que la tragédie des biens communs (jeu multijoueurs) illustrent bien ces situations où les actions individuelles simultanées et non coordonnées amènent à un résultat collectif perdant-perdant. Il s’agit de situations où le marché (la “main invisible”) ne fonctionne pas par lui-même.

La stratégie “un prêté pour un rendu” (tit for tat)

Selon The Art of Strategy, la stratégie qui fonctionne le mieux dans une situation simultanée de type dilemme du prisonnier répété est celle d'”un prêté pour un rendu” (tit for tat). Elle se résume par la phrase suivante : “je vais te faire ce que tu m’as fait la dernière fois mais avec un peu de pardon dans le cas où il y aurait eu une erreur de ta part”. C’est la loi du talion qui inclue occasionnellement le pardon.

Cette stratégie fonctionne selon quatre principes qui servent à renforcer l’entente et la coopération pour arriver à un résultat gagnant-gagnant :

  1. La gentillesse : la stratégie ne commence jamais par tricher.

  2. Le répondant : si l’adversaire triche, la stratégie détecte et sanctionne.

  3. Le pardon : la triche est ensuite pardonnée et la stratégie est prête à reprendre la coopération.

  4. La clarté : cette stratégie est facilement comprise par l’autre joueur – pas besoin de communiquer.

Jouer le long terme

L’enseignement plus général de la stratégie “tit for tat” est de nous indiquer que la meilleure des stratégies (sur un plan personnel comme professionnel) est de “jouer” un jeu à long terme (vis-à-vis du secteur et des personnes). La confiance est le moteur de la coopération. Et seules des interactions répétées la créent.

On peut voir cela comme une stratégie des intérêts composés : plus le jeu sera à long terme et plus les participants seront incités à s’investir dans le groupe; tandis que, dans un jeu à court terme, chacun essaiera de profiter à titre personnel.

Trouver l’équilibre de Nash

Le jeu du chasseur est un jeu de coopération. Dans ce jeu, il y a deux chasseurs qui sont capables de chasser chacun de leur côté du lapin. Mais qui, s’ils s’allient, peuvent attraper un cerf ou un bison. L’un préfère le cerf mais l’autre le bison. Les trois animaux se chassent sur un territoire différent. Les chasseurs ont rendez-vous demain mais ils ne se sont pas entendus sur la proie et ils ne peuvent pas communiquer entre eux.

Les meilleures stratégies sont celles où ils vont chasser ensemble le même animal : (cerf, cerf) ou (bison, bison) ou (lapin, lapin). Ces stratégies sont appelées des équilibres de Nash. Il s’agit d’une configuration de stratégies dans laquelle le choix de chaque joueur est sa meilleure réponse au choix de l’autre. Dit autrement, chacun des joueurs a choisi une stratégie telle qu’aucun des joueurs ne peut bénéficier d’un changement unilatéral.

Mais nous constatons qu’il y a plusieurs équilibres de Nash (3). Alors, comment faire pour savoir vers quel équilibre il faut aller ? Comment connaître le point vers lequel les attentes des joueurs vont converger ? Ce point s’appelle le point focal. Et il peut être déterminé par les conventions sociales, l’histoire, l’historique commun, etc.; soit toutes les connaissances communes qui peuvent aider à connaître les préférences de l’autre pour prévoir son comportement.

Dans le cas d’interactions répétées, le point focal peut généralement être établi de trois façons :

  1. Imposer son équilibre en choisissant la même action : chasseur 1 est déterminé et il se rend systématiquement sur le lieu du cerf jusqu’à ce que le chasseur 2 comprenne et se rende sur le même lieu.

  2. Alterner les équilibres : on chasse le cerf puis la fois d’après le bison.

  3. Choisir un équilibre au hasard : on lance une pièce en l’air et on laisse le sort décider pour la prochaine chasse.

Cas 3 : Jeu simultané de pur conflit
Stratégie optimale : Minimiser le résultat de son adversaire (Minimax)

Dans un jeu simultané de pur conflit, les concepts précédents ne s’appliquent plus. En effet, dans les jeux à somme nulle, les intérêts personnels des joueurs sont strictement opposés (les gains de l’un sont les pertes de l’autre). Il n’y a plus du tout d’intérêt commun.

Aussi, la coopération n’a plus aucun intérêt stratégique – sauf une fausse coopération pour tromper. Mais cela devient alors de la manipulation d’information, une stratégie de brouillage de signal.

Par ailleurs, il devient dangereux de choisir systématiquement une même action (une stratégie pure comme dans le cas d’un équilibre imposé) car ce comportement pourra facilement être exploité par votre adversaire.

Dans ce style de jeu, la stratégie optimale consistera à minimiser le résultat possible pour votre adversaire; tandis que lui-même cherchera à maximiser son résultat (voir minimax).

Stratégie optimale : Équilibre de Nash mixé

Etant donné qu’il serait désavantageux de laisser votre adversaire connaître votre choix en avance, la stratégie optimale va consister à choisir une stratégie aléatoire. En effet, dans les jeux de pur conflit, il ne faut laisser filtrer aucune information à l’adversaire. Vos caractéristiques personnelles (capacités, préférences et intentions) sont des informations que vous devez à tout prix dissimuler.

Ainsi, si l’interaction entre les deux joueurs est répétée, chacun des deux joueurs devra mixer (alterner) aléatoirement ses actions de sorte qu’un joueur ne puisse pas en exploiter un autre en choisissant une contre-stratégie pure.

Quand les deux joueurs choisissent une stratégie aléatoire, nous obtenons un équilibre de Nash (dans les stratégies mixtes). C’est donc la meilleure stratégie pour les deux. Pensez par exemple, au cas des tirs au but dans un match de foot.

Améliorer l’efficacité des engagements

Parfois, il arrive que les gens s’engagent à faire des choses qu’ils ne font pas, faute de temps, par oubli, parce qu’ils s’étaient prononcé uniquement pour avoir la paix, ou pour toute autre raison. S’engager à faire quelque chose est un jeu auquel tout le monde joue.

Si vous êtes dans un jeu de coopération, vous allez chercher à faire en sorte que les autres tiennent leurs engagements (et ils feront pareil avec vous). Si vous êtes dans un jeu de pur conflit, vous allez tenter de miner l’engagement des autres (et ils feront de même avec vous).

La théorie des jeux enseigne plusieurs stratégies pour mieux réussir le jeu de l’engagement. C’est-à-dire pour parvenir plus souvent à atteindre vos objectifs (ou à empêcher vos adversaires d’atteindre les leurs).

Les engagements et la crédibilité

Il y a trois types d’engagement :

  1. Les engagements inconditionnels : vous vous engagez à faire quelque chose quelles que soient les circonstances;

  2. Les engagements sous la menace : vous recevez une menace qui vous pousse à agir;

  3. Les engagements sous la promesse : vous recevez une promesse qui vous incite à agir.

Mais ces trois types d’engagement dépendent d’un facteur essentiel : votre crédibilité ou la crédibilité de celui qui fait la menace ou la promesse. Tout le monde le sait : les mots ne valent pas autant que les actions. Pour que les mots aient de l’effet sur les croyances et les actions des autres joueurs, ils doivent être appuyés par des actions stratégiques.

Actions stratégiques pour rendre crédibles les engagements

Voici les stratégies, évoquées dans The Art of Strategy, pour améliorer l’efficacité des engagements. Ces stratégies exploitent ou changent les règles du jeu. Quand un jeu ne vous convient plus, vous pouvez faire deux choses : arrêter de le jouer ou changer les règles à votre convenance.

1/ Ecrire un contrat

Stratégie pour rendre un engagement crédible en obligeant à payer une (forte) pénalité dans le cas de manquement à l’obligation. Il faut que la pénalité soit suffisamment forte pour que l’obligation paraisse légère en comparaison. Petite remarque au passage : vous pouvez vous-même utiliser cette technique avec des amis pour vous obliger à respecter vos engagements vis-à-vis de vous même.

2/ Établir et utiliser une réputation

Lorsque vous jouez un jeu avec des interactions répétées et que vous engagez à faire des choses que vous ne faites pas, vous perdez votre réputation. Cela se traduira par un coût supplémentaire dans l’avenir. Vous devrez faire plus pour regagner la confiance perdue et ce ne sera pas gagné.

3/ Couper les communications

Stratégie consistant à s’engager vis-à-vis de quelqu’un sans pouvoir revenir sur son engagement par la suite car le contact a été perdu (comme un testament écrit par quelqu’un qui est décédé).

4/ Brûler les ponts derrière vous

Stratégie consistant à ne plus se laisser la possibilité de revenir sur la situation précédente. Cette technique change le jeu en ne vous laissant plus qu’une seule option : avancer.

5/ Laisser le résultat dépasser votre contrôle

Stratégie intégrant le hasard pour forcer une action adverse. Il peut s’agir de faire croire à une menace qui ne dépend pas de vous (exemple extrême : la roulette russe). Les policiers utilisent cette technique en disant aux suspects “une fois que tu seras devant le juge, ça ne dépendra plus de moi, parle”.

6/ Avancer par petites étapes

Si les enjeux sont très élevés, les deux parties peuvent ne pas se croire. La stratégie des petites étapes consiste à diviser le gros engagements en plusieurs petits engagements qui ont plus de probabilité de se réaliser.

7/ Utiliser le travail d’équipe

Vous pouvez faire intégrer (ou intégrer vous-même) une équipe pour profiter des effets du contrôle horizontal exercé par les pairs pour faire respecter un engagement d’équipe. La pression des pairs est un moteur puissant pour avancer.

8/ Employer des agents extérieurs

Stratégie consistant à faire appel à une pression extérieure pour obliger à agir.

Pour aller plus loin : Lire The Art of The Art of Strategy de Avinash K. Dixit et Barry J. Nalebuff.

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