Le gène égoïste : Quels sont les enseignements pratiques de la stratégie de survie du gène ?

Le gène égoïste

L’homme : une machine à survie guidée par des gènes égoïstes ? C’est en tout cas la théorie révolutionnaire que défend Richard Dawkins dans Le Gène égoïste.

Mais alors, si l’égoïsme est le principe conducteur, pourquoi constatons-nous parfois des comportements altruistes chez les animaux comme chez les humains ?

A l’aide de la théorie des jeux, Dawkins explique pourquoi la stratégie de survie égoïste appliquée par les gènes peut se manifester sous la forme de l’altruisme.

Le Gène égoïste

Dans “Le Gène égoïste”, un livre passionnant devenu un classique, le scientifique donne une nouvelle perspective au concept de sélection naturelle développé par Charles Darwin. Pour Dawkins, la sélection naturelle ne s’exerce pas au niveau des espèces ou des individus. Elle se déroule au niveau du gène.

Les différents types de corps (animal, végétal, minéral) sont des véhicules à durée de vie limitée qui transportent des combinaisons éphémères de gènes. Mais le gène ne disparaît pas nécessairement lorsque son hôte s’éteint. Le gène peut survivre à travers un grand nombre de corps successifs.

Sa technique de survie ? Sauter d’un corps à un autre. Pour atteindre ce résultat, il créé des copies de lui-même, notamment via la reproduction sexuée. Lorsque la copie est fidèle, on peut parler de longévité sous forme de copie. Ainsi, Dawkins considère les gènes comme des unités potentiellement immortelles.

Selon le scientifique, les gènes sont donc des réplicateurs (c’est-à-dire des corps inconscients pouvant créer des copies d’eux-mêmes) et nous ne sommes que leur machine à survie temporaire. Autrement dit, c’est le gène qui compte et non pas l’humain (!).

Cependant, rien n’empêche une machine complexe avec certaines orientations préprogrammées dans son code génétique de modifier ses décisions par l’apprentissage. L’éthologue reconnaît le rôle du libre arbitre.

Vous venez de voir la théorie du Gène égoïste : la sélection naturelle se réalise au niveau du gène (et non pas au niveau de l’espèce).

Dans la suite de cet article, vous découvrirez les principaux enseignements pratiques que l’on peut retirer des stratégies millénaires appliquées par les gènes.

Les limites du dilemme du prisonnier

Selon la théorie du Gène égoïste, nous devrions nous attendre à ne constater que des comportements égoïstes dans la nature. Soit le règne du chacun pour soi. Pourtant, nous observons beaucoup de comportements apparemment altruistes.

S’agit-il de comportements dictés, non pas pour le bien du gène, mais pour le bien supérieur de l’espèce ? Non, pour Dawkins, il s’agit simplement d’associations à bénéfice mutuel. Et le principal bénéficiaire reste bien le gène égoïste.

Songez aux oiseaux qui se retirent mutuellement leurs tiques. Pensez aux animaux qui donnent le signal lorsqu’un prédateur arrive, au risque d’attirer l’attention sur eux. Ou aux rassemblements en troupeaux pour échapper aux prédateurs. Ou encore aux poissons nettoyeurs qui retirent les parasites des dents des poissons plus gros qu’eux et qui sont épargnés en échange du service rendu.

Bref, les exemples de coopération via l’altruisme retardé ne manquent pas chez les espèces capables de se reconnaître.

Le modèle du dilemme du prisonnier ne permet pas d’expliquer ces situations.

Le dilemme du prisonnier désigne une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, en l’absence de communication entre les deux joueurs, chacun choisira de trahir l’autre si le jeu n’est joué qu’une fois. La raison est que si l’un coopère et que l’autre trahit, le coopérateur est fortement pénalisé. Pourtant, si les deux joueurs trahissent, le résultat leur est moins favorable que si les deux avaient choisi de coopérer.

En effet, le dilemme du prisonnier nous apprend que, dans un jeu à court terme (soit avec une seule itération), la meilleure stratégie consiste à ne pas coopérer. C’est tout simplement le choix qui coûte le moins cher.

Autrement dit, ce dilemme nous apprend que les jeux à court terme sont des jeux de conflit (ce sont des jeux à somme nulle).

Alors, qu’est-ce qui explique la présence de comportements altruistes dans la nature ?

Le dilemme du prisonnier itéré

Lorsqu’il y a plusieurs tours successifs, comme cela est souvent le cas dans la nature, le jeu change. Une nouvelle configuration apparaît : le dilemme du prisonnier itéré.

Dans ce nouveau jeu, les répétitions donnent l’occasion d’établir la confiance, la méfiance, la réciprocité, le pardon et la revanche. La dimension “temps” permet l’apparition d’effets cumulés des décisions entre des êtres qui se côtoieront souvent.

Une nouvelle question se pose alors : quelle est la meilleure stratégie individuelle lorsqu’il y a potentiellement plusieurs itérations ?

Pour répondre à cette question, des scientifiques ont lancé plusieurs simulations informatiques. Ils ont fait 14 stratégies différentes s’affronter en face-à-face sur plusieurs tours. Par exemple, il y avait des stratégies comme :

  • Coopérer 100% (coopérer tout le temps peu importe la réponse adverse)

  • Déserter 100% (déserter tout le temps peu importe la réponse adverse)

  • Coopérer et déserter aléatoirement

  • Donnant-donnant (commencer par coopérer sur le premier coup, puis imiter la stratégie adverse sur les coups suivants; cette stratégie a une mémoire courte puisqu’elle oublie vite les mauvaises actions)

  • Le rancunier (stratégie a mémoire longue qui ne pardonne pas)

Globalement, les meilleures stratégies sont celles qui pratiquent la gentillesse et le pardon, mais sans se laisser exploiter.

La stratégie “donnant-donnant” a ainsi obtenu les meilleurs résultats moyens contre toutes les autres stratégies. C’est une stratégie efficace qui tendra à influencer les autres et donc à se répandre dans la population.

Par contre, la stratégie du rancunier à mémoire longue (celui qui ne pardonne pas) a obtenu les moins bons résultats. Elle s’enferme dans des cycles de vengeance mutuelle même contre un adversaire potentiellement repentant.

Cela démontre que, dans un jeu à long terme, la coopération et l’assistance mutuelle seront les meilleures options pour des stratèges aux motivations égoïstes mais visant l’efficacité. Autrement dit, dans un monde égoïste, incluant la réciprocité bien comprise, la gentillesse (établir la confiance via donner, recevoir et rendre) s’avère être la meilleure des stratégies.

A noter qu’au sens darwinien, ce qui définit une stratégie ce n’est pas son intention (sa motivation profonde) mais son attitude (sa préférence révélée). Dans cette vision pragmatique, l’égoïsme en tant que moteur devient altruisme comme résultat. Et ce principe, le gène efficace l’a bien intégré. Il choisit cette stratégie “altruiste” car elle lui permet de maximiser son espérance de vie.

Les enseignements pratiques

Le gène est un organisme inconscient qui suit aveuglément une stratégie codée. Cette stratégie évolutive est constamment confrontée aux feedbacks de la nature : elle est validée par la survie et la reproduction; et elle est invalidée par la disparition du gène.

Des enseignements peuvent être retirés de la stratégie de survie millénaire du gène égoïste :

  • Dans les jeux à court terme, celui qui vous fait face est un adversaire;

  • Transformez les jeux à court terme (conflictuels) en jeux à long terme (collaboratifs) en y introduisant de l’engagement;

  • Dans les jeux à long terme, la collaboration est la meilleure des stratégies. La collaboration est basée sur la confiance. La gentillesse permet la confiance;

  • Privilégiez les jeux à long terme pour capitaliser sur les intérêts composés dus à l’effet “temps” (compétences, connaissances, relations);

  • Ne vous enfermez pas dans des cycles de vengeance. Pratiquez le pardon face à quelqu’un capable de s’ajuster en conséquence. Prenez l’initiative pour transformer une situation perdant-perdant en gagnant-gagnant.

La stratégie optimale change selon la nature du jeu

PS : J’ai particulièrement apprécié ce livre et j’espère que cet article vous sera utile. Je vous recommande vivement cette lecture.

PPS : Dans cet article, je n’ai pas évoqué le cas des coopérations au sein de la famille. Dans ce cas, l’explication de l’auteur est que le gène aidera les copies de lui-même qui se trouvent dans d’autres corps. D’ailleurs, il coopérera d’autant plus que les répliques seront semblables à lui-même.

PPPS : L’expression “gène égoïste” désigne plus spécifiquement la rivalité entre le gène et l’organisme (cf. le biologiste Robert Trivers).

4PS : “Le gène est antifragile, puisque c’est de l’information. Le porteur de ce gène est fragile, et il est nécessaire qu’il le soit pour que le gène se renforce.” (Nassim Taleb).

Pour aller plus loin, lire le livre Le Gène égoïste (Richard Dawkins).

Pour copier et partager : https://mikaelecanvil.com/le-gene-egoiste/

 

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