Qu’est-ce qu’un investisseur offensif peut retirer des stratégies d’investissement Venture Capital (VC) ?
Scott Kupor est un Managing Partner de Andreesen Horowitz “a16z” (l’une des plus importantes firmes VC américaines). Son ambition avec le livre “Secrets of Sand Hill Road“ est de contribuer à la démocratisation de l’accès aux informations sur le business des investisseurs VC.
Les VC sont des investisseurs en capital-risque. Ils investissent essentiellement dans des actions de startups. C’est-à-dire sur des marchés privés et dans des actifs très illiquides et à haut risque pour y rechercher des rendements asymétriques.
Cet article a pour objectif de présenter l’activité des VC afin d’en tirer des enseignements pratiques pour les investisseurs offensifs.
Qu’est-ce que le Venture Capital ?
Les cinq plus importantes sociétés par leur capitalisation (Apple, Microsoft, Facebook, Google et Amazon) ont initialement été financées par le Venture Capital. Cela met en évidence à quel point cette industrie – une petite fraction de la finance – contribue pour (et donc capture) une part importante du financement des futures entreprises leader.
Les fonds VC ciblent essentiellement les startups technologiques. Le fondateur d’une startup est en effet très tôt confronté à la question du financement de sa société : financement par de la dette ou par des actions ? [1]
Le financement par action (equity) sera souvent le meilleur choix pour des business qui :
Ne génèrent pas de cashflow à court et moyen terme (impossibilité de régler les intérêts réguliers du financement par la dette);
Sont très risqués (difficulté à obtenir un prêt bancaire);
Ont de longues périodes d’illiquidité.
Le Venture Capital comme classe d’investissement
Une classe d’actif est une catégorie d’investissement dans laquelle un investisseur peut réaliser une allocation. Les obligations, les actions du marché public, etc. sont des classes d’actif connues. Mais il y a également d’autres classes d’actif plus risquées comme les hedge funds, les fonds VC ou les fonds LBO.
En moyenne, les fonds VC ne sont pas considérés comme un bon investissement. En effet, les résultats de ces fonds suivent une loi de puissance (et non pas une loi normale). Cela signifie qu’une petite fraction des firmes VC capture l’essentiel des profits de l’industrie.
Aussi, un investisseur non initié (autorisé à investir dans ces fonds [2]) a plus de chance d’investir dans un fond VC moyen et donc de réaliser une pauvre performance.
De plus, au fil des succès, les fonds VC développent une réputation pour avoir financé des startups à succès. Cette réputation attire les meilleurs entrepreneurs qui vont vouloir obtenir le soutien des meilleures fonds (meilleur accompagnement, plus de capital et effet de marque).
Les fonds investis par les VC lors des différents rounds de financement par actions des startups sont illiquides durant plusieurs années. Le VC récupère en effet ses fonds (sa liquidité) uniquement lorsque la startup est rachetée ou lorsqu’elle est introduite en bourse.
Le VC ne cherche pas à faire une performance un peu mieux que la moyenne; il recherche des superstars (des 10X+). Cela lui est nécessaire pour compenser les nombreux projets de son portefeuille qui vont échouer.
Voici la distribution des résultats qu’obtiennent généralement les bons VC :
50% d’échecs. Ils perdent une partie ou tout leur investissement 50% du temps (rappel : en général, 90% des startups échouent);
20%-30%-40% de conservation de la mise ou de double up. Ce sont les situations où ils réalisent des petits multiplicateurs;
10%-20% de superstars (licornes). Ils récupèrent 10X voire 100X leur mise (ou plus).
Du fait du nombre réduit de superstars et de ces lois de puissance, l’investissement VC est un jeu à somme nulle. Ce n’est pas comme dans les marchés publics des actions (qui ont de longues périodes où presque tout le monde peut gagner – ou perdre). La compétition entre les fonds est très dure.
Comment les VC décident-ils d’investir en début de phase ?
Lorsqu’une startup débute [3], il est compliqué pour un investisseur d’évaluer son potentiel. Il existe en effet très peu de données disponibles vu que la société n’est pas encore publique.
Pour évaluer le potentiel d’un projet, le VC se base sur trois critères principaux [4] :
L’équipe
Le produit
Le marché
L’équipe
Le critère le plus important est la qualité de l’équipe. Quel est leur background ? Ont-ils des compétences spécifiques qui font penser qu’ils sont les mieux placés pour exécuter leur idée ? Ont-ils la force de caractère nécessaire pour tenir sur la durée et face aux difficultés ?
Sont-ils des “product first company” ou bien des “company first company” ? Le premier cas désigne la situation où le fondateur a été confronté à un problème qui a conduit au développement d’un produit pour le résoudre (et donc d’une société). Le second cas correspond à la situation où le fondateur a voulu créer une société et a réfléchi pour trouver un produit qui serait intéressant. Les VC privilégient les “product first company“.
L’idée du produit a son importance. D’ailleurs, le job d’un VC consiste à faire des investissements contrariens. C’est-à-dire à miser sur des bonnes idées qui ressemblent à de mauvaises idées. Mais la qualité d’exécution de l’équipe deviendra le critère essentiel pour gagner la course quand d’autres entrepreneurs réaliseront que l’idée est bonne.
Le produit
Le second critère d’évaluation porte sur le produit. Est-ce que le produit va résoudre un besoin fondamental du marché (que le besoin soit connu ou pas par les clients actuels) ?
Est-ce que le produit est disruptif ? Un nouveau produit ne s’imposera pas s’il n’est pas au moins dix fois meilleur ou dix fois moins cher ou bien complètement différent des produits actuels. Les VC ne recherchent pas des vitamines (une légère amélioration non visible immédiatement) mais des aspirines (résolution d’un problème de façon radicale et immédiate).
Le produit imaginé au début de la startup sera souvent différent du produit final. Le VC analyse donc le raisonnement du fondateur et sa capacité d’adaptation. Comment est-il arrivé à cette idée de produit ? Est-ce qu’il sera capable de pivoter en fonction des données collectées ?
La taille du marché
Est-ce que le marché sera suffisamment large pour soutenir une très forte croissance ?
Nous avons vu précédemment que les investissements VC suivent une loi de puissance : il y a beaucoup plus d’investissements qui échouent que d’investissements qui réussissent. Pour que l’investissement global soit EV+, les investissements gagnants doivent rapporter beaucoup (10X+). Il est donc très important de bien estimer la taille du marché.
Avoir misé sur la bonne équipe mais sur le mauvais marché est l’une des principales erreurs qu’un VC doit éviter [5].
Les estimations de marché sont simples à réaliser quand le nouveau produit est un produit de substitution d’un produit existant. Par contre, la donne est plus compliquée quand il s’agit d’une technologie qui modifie un marché existant (Uber) ou crée un nouveau marché (Airbnb).
Qui investit dans les VC ?
Les firmes VC existent car des Limited Partners (LP) investissent une partie de leur argent dans des fonds VC. Ils font cela dans l’objectif de rechercher de l’alpha (le surplus de rendement par rapport à un index de marché).
Les différents types de LP :
Les dotations universitaires (Stanford, MIT, etc.). Les meilleures universités sollicitent des fonds de leurs anciens étudiants. Ces fonds sont utilisés comme investissement.
Les fondations (Fondation Ford, Fondation Hewlett, etc.).
Les fonds de pensions privés ou d’Etat (IBM, le fonds de retraite des enseignants de Californie, etc.).
Les family offices. Les gestionnaires de fonds qui sont investissent pour des familles très fortunées.
Les fonds souverains (Temasek, Corea Investment Corporation, etc.).
Les investisseurs institutionnels (compagnies d’assurance, banques, etc.).
Les fonds de fonds (HarbourVest, etc.).
Où est-ce que les LP investissent ?
Actifs de croissance : actions publiques (public equity), actions non cotées (private equity), hedge funds.
Protection contre l’inflation : immobilier, matières premières (or, argent, etc.), ressources naturelles (pétrole et gaz, agriculture, etc.)
Protection contre la déflation : obligations et cash.
Cas pratique : le portefeuille de Yale
Actions domestiques. Yale a une allocation de 4% dans les actions américaines publiques. Cette allocation lui rapporte 13% annuellement. (Généralement, les universités investissent 20% dans les actions domestiques).
Actions étrangères : 15%. Rendement annuel de 14% sur les vingt dernières années.
Hedge funds : 22% Rendement annuel de 9% sur les vingt dernières années.
Buyout funds : 15%. Rendement annuel de 14%.
Venture Capital : allocation de 16% (l’allocation moyenne est de 5% en général). Cette poche a produit un rendement annuel de 77% (!) sur les vingt dernières années.
Protection contre l’inflation : 7.5% dans les ressources naturelles (rendement annuel de 16%); 12.5% dans l’immobilier (rendement annuel de 11%).
Protection contre la déflation : 4.9% dans les obligations (rendement annuel de 5%) et 2% de cash.
Yale est beaucoup (50%+) investie dans des actifs illiquides (VC, LBO, immobilier, ressources naturelles). Les marchés illiquides sont composés d’actifs qui sont pricés moins efficacement que les marchés liquides. Cela fait qu’il y a plus d’opportunités pour des investisseurs compétents d’y obtenir des rendements qui surperforment le marché.
C’est un aspect que l’investisseur offensif doit conserver à l’esprit lorsqu’il investit dans des startups (via des sites comme Republic.co), dans des crypto-monnaies en OTC (marchés privés) ou lors des presales.
Notes
[1] Kupor note que les investisseurs en avant-phase (angels ou seed investors) investissent souvent dans des sociétés via des notes convertibles. Ce sont des dettes qui peuvent être (et sont généralement) converties en actions. Donc, dans les faits, cela revient à nouveau à un financement par equity.
[2] Pour investir dans les fonds VC, un investisseur doit être accrédité (soit avoir un patrimoine d’au moins un million de dollars).
[3] De nos jours, les sociétés restent privées beaucoup plus longtemps qu’avant. Donc les “startups” sont accompagnées beaucoup plus longtemps et non plus uniquement lors de leur lancement. Cela est du à deux principales raisons :
Les VC disposent de capacités financières de plus en plus importantes;
Les acteurs traditionnels viennent de plus en plus financer les entreprises prometteuses sur les marchés privés.
En conséquence, l’essentiel de la valorisation des startups est capturée par les investisseurs sur les marchés privés (au détriment des investisseurs des marchés publics).
[4] Note personnelle : Le VC qui intervient sur les cryptos (web3) rajoutera deux autres critères : la communauté du projet et la tokenomics (l’économie du token en question).
[5] En général, on classe l’importance relative entre le marché (M), la team (T) et le produit (P) ainsi : M > T > P. L’autre grosse erreur : avoir misé sur le bon marché mais pas sur la bonne équipe. Car la philosophie d’investissement des VC est souvent d’investir dans une seule startup pour un marché dédié.
Pour aller plus loin : Lire le livre “Secrets of Sand Hill Road” de Scott Kupor.
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