Dans Le Dilemme de l’Innovateur, Clayton M. Christensen se demande pourquoi des sociétés qui sont bien gérées échouent lorsqu’elles font face à des technologies disruptives. Pourquoi ce sont essentiellement les nouvelles sociétés qui exploitent le potentiel des technologies disruptives et qui finissent par dominer les marchés ?
Dans ce classique du business, l’auteur donne des conseils stratégiques aux managers des sociétés leader de leur marché pour pouvoir gérer au mieux les technologies disruptives. Ce livre a eu de l’impact sur toute une génération de top managers et d’entrepreneurs. Steve Jobs, lui-même, reconnaît dans sa biographie que ce livre a eu une profonde influence sur lui.
L’objectif de cet article sera de présenter les enseignements que l’on peut en retirer pour comprendre les stratégies des acteurs. Et donc, pour anticiper les évolutions du marché émergent de la technologie blockchain potentiellement disruptive.
#1 : Les deux types d’innovation technologique
Les technologies de soutien
La plupart du temps, les innovations technologiques produisent des technologies de soutien. Ce sont des technologies qui améliorent rapidement la performance des produits existants. Il s’agit d’innovations techniques : rajout de fonctionnalités, optimisation d’un produit, etc. En général, ces innovations sont demandées par les principaux clients des sociétés. Pour donner un exemple moderne, nous pouvons penser au passage des applications web aux applications mobiles.
Les technologies disruptives
Les innovations de disruption (rupture) sont beaucoup plus rares. Et leur modèle d’installation et de diffusion diffère totalement du modèle précédent. Ces innovations créent d’abord un produit dont les performances initiales sont moins bonnes que celles du produit qu’elles tentent de surpasser. Par contre, elles procurent d’autres fonctionnalités qu’un nouveau marché appréciera. Cela fait qu’elles amènent une proposition de valeur complètement différente. Par exemple, le passage d’un business model de location de logiciels (Microsoft) à la gratuité et la publicité ciblée (Facebook et Google). Les disruptions fonctionnent de manière fractale : elles cassent les anciens business model et elles annoncent le début d’un nouveau cycle.
#2 : Zoom sur les spécificités des technologies disruptives
Les technologies disruptives possèdent souvent des caractéristiques qui les rendent sans valeur pour le marché de masse. (On peut ici penser à la fonctionnalité “décentralisation” pour la blockchain.)
Des sociétés se forment et tentent d’exploiter ces spécificités. Les sociétés qui les placent au centre de leur business model sont en quête d’un nouveau marché émergent. Et, effectivement, une nouvelle clientèle d’utilisateurs (les “early adopters”) va en effet fortement valoriser ces spécificités qui ne sont pas encore appréciées par le marché de masse.
Cependant, pour que la technologie disruptive finisse par s’installer, il lui faudra respecter certains critères. Elle devra notamment être plus simple, moins chère, plus fiable et plus pratique que la technologie établie qu’elle vise à remplacer.
Progressivement, dans ces nouvelles sociétés (start-up), les compétences en interne sur la technologie disruptive vont s’améliorer. Et parallèlement, le marché émergent va devenir de plus en plus grand, jusqu’à ce que la technologie soit réellement au point et qu’elle attaque le marché de masse. Dans les technologies de disruption, il y a un avantage au premier entrant.
#3 : Pourquoi y a-t-il un dilemme de l’innovateur ?
Il y a un dilemme de l’innovateur dans le sens où ce sont précisément les principes de bonne gestion des entreprises leader qui les empêchent d’exploiter le potentiel des technologies disruptives.
Les principales causes d’échec des entreprises leader qui font face aux technologies disruptives sont liées à l’inadéquation entre la taille importante de ces entreprises et un marché encore inexistant. Ces entreprises suivent des règles de bonne gestion qui leur conseillent de :
Se concentrer essentiellement sur leurs gros clients;
Prospecter les principaux marchés (ceux pour lesquels elles disposent déjà de données pour réaliser des projections et des études de marché);
Eviter l’incertitude et les échecs en s’aventurant sur un marché inconnu;
Investir uniquement dans les technologies demandées par leurs clients;
Renforcer leur organisation pour optimiser ce qu’elles font déjà bien et qui est le plus rentable. Par ailleurs, les compétences clefs qu’elles ont pour leur business model ne sont pas nécessairement celles qui sont nécessaires pour un autre business model.
#4 : Comment résoudre ce dilemme de l’innovateur ?
Très peu d’entrepreneurs (comme Steve Jobs) et de managers à succès sont parvenus à résoudre ce dilemme. Si vous faites face à des technologies disruptives, voici comment vous devrez procéder :
Concevez une organisation séparée suffisamment petite pour être motivée par des résultats relativement faibles (marchés émergents). Et suffisamment distincte pour posséder sa propre culture et ses propres processus;
Donnez la responsabilité des projets reposant sur des technologies disruptives à des organisations en contact avec les clients de ces technologies. Ainsi, l’allocation des ressources se fera au mieux;
Prévoyez l’échec. Concevez vos efforts initiaux comme un processus d’apprentissage.
#5 : Quels enseignements pour la technologie disruptive blockchain ?
La blockchain possède de nombreuses fonctionnalités : décentralisée, ouverte, infalsifiable, transparente et non censurable.
La plupart des grandes entreprises tentent aujourd’hui d’intégrer la blockchain dans leur business model. Mais il s’agit de blockchains privées qui servent essentiellement à fiabiliser les bases de données en les rendant plus sécurisées (immuables) et plus rapides. A nouveau, ce sont leurs principes de bonne gestion qui ne les incitent pas à développer des blockchains publiques.
Pourtant, le caractère disruptif de la blockchain, c’est son aspect publique (à travers la décentralisation de la confiance). Nous voyons donc que les mêmes processus que se reproduisent : aujourd’hui, comme hier, les fonctionnalités disruptives ne sont pas celles qui intéressent les entreprises leader. En paieront-elles le prix demain ? Si l’on se fie à la courte histoire économique des innovations technologiques, nous pouvons raisonnablement penser que oui.
Les questions à se poser seraient : « quelles applications décentralisées je pourrais construire sur Ethereum ? Puis-je concevoir une unité en interne qui fonctionnerait de façon décentralisée (DAO) ? Puis-je construire une blockchain publique spécifique qui me permettra de créer des applications décentralisées sur-mesure ? »
Terminons en réalisant quelques projections selon le modèle de l’auteur de The Innovator’s dilemma : La technologie disruptive va d’abord se développer sur un marché émergent qui appréciera sa principale fonctionnalité. Au fil du temps, elle se renforcera sur sa fonctionnalité centrale (la décentralisation) qui deviendra de plus en plus valorisée. En effet, le point “faible” d’une technologie disruptive devient généralement son point fort. D’autres applications et usages apparaîtront progressivement. Puis, elle s’attaquera au marché de masse. Il sera alors trop tard pour les leaders des anciennes technologies auxquelles elle se substituera. Enfin, nous assisterons au processus de “destruction créatrice”.
En résumé : selon la théorie de la disruption, les sociétés établies ignorent les nouvelles technologies disruptives car elles ne servent pas les besoins immédiats de leurs clients. En conséquence, ces nouvelles technologies sont développées par des nouveaux acteurs sur des marchés émergents. Mais (si et) quand elles finissent par arriver à maturité, elles transforment radicalement le marché initial. Pour le dire plus simplement, ces technologies ne doublent pas en arrivant par derrière; elles renversent par le côté.
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