L’histoire a-t-elle un sens ? Peut-on y découvrir des tendances profondes éternelles et universelles susceptibles d’éclairer notre futur ?
Deux historiens, Will et Ariel Durant, ont tenté de répondre à ces questions. Ils ont synthétisé leurs recherches dans un petit livre de 100 pages : “Les leçons de l’histoire” (Lessons of history).
Dans ce livre, ils résument ce que l’histoire révèle sur la nature, la conduite et les perspectives des hommes. Et comme l’homme est multidimensionnel, leur analyse l’est également. Voici, selon ces historiens, les principales leçons que l’histoire nous enseigne :
Les leçons de l’histoire : la nature
La géographie est la matrice de l’histoire. Elle est l’environnement qui fixe les règles du jeu en définissant les possibles. Toutes les grandes civilisations ont émergé de conditions géographiques et climatiques favorables. Ainsi, l’Égypte était l’enfant du Nil. La Mésopotamie, le pays entre les fleuves.
Cependant, les facteurs géographiques ont progressivement été maîtrisés par l’esprit inventif de l’homme. En effet, seules les idées des créatifs et la force des leaders font se concrétiser les opportunités. C’est ainsi que l’homme a pris le dessus sur son environnement avec la technologie (agriculture, pêche, transport, etc.).
Les leçons de l’histoire : la biologie
L’homme est un organisme biologique. Et en tant que tel, il lutte pour sa survie et sa reproduction.
La première leçon biologique de l’histoire est que la vie est une compétition. Cette compétition est parfois dissimulée par la coopération. Mais cette dernière est une forme de compétition masquée. Lorsqu’un groupe (famille, communauté, club, nation, etc.) coopère, c’est pour se renforcer ou pour se protéger dans sa compétition avec les autres groupes.
La deuxième leçon biologique est que la vie est une sélection. Dans la compétition pour les ressources limitées, les organismes qui s’adaptent le mieux survivent; les autres disparaissent progressivement. Pour la biologie, les inégalités sont naturelles et elles s’accentuent avec la civilisation.
La troisième leçon biologique est que la vie doit se reproduire. La vie c’est la continuité. Et la continuité fonctionne grâce à la reproduction. Pour la nature, l’individu ne compte pas car son temps de passage est trop bref. Ce qui importe c’est ce qui dure, c’est-à-dire l’espèce. Mais quand une espèce est trop nombreuse par rapport aux ressources disponibles, la nature a trois réponses : la famine, la maladie et la guerre.
Les leçons de l’histoire : la psychologie et l’étude des caractères
La nature humaine a peu changé au cours de l’histoire. Les émotions, le moteur des actions humaines, sont toujours les mêmes : la joie, la peur, l’envie, l’amour, la colère, le courage, etc.. Seuls les moyens d’expression changent grâce à la technologie.
Les Grecs de l’époque de Platon ne se comportaient pas très différemment des Français d’aujourd’hui. Ni les Romains de César, des Anglais contemporains. Jusqu’ici, l’évolution de l’homme a plus été sociale que biologique. Il n’y a pas eu de réelle variation de l’espèce humaine. Par contre, il y a eu des innovations culturelles : morales, économiques, politiques, intellectuelles.
L’étude des individus et des forts caractères nous apprend que la marche de l’histoire humaine est dictée par le conflit entre des minorités et par quelques rares hommes à fort impact (Edison, Marx, Lénine, Mao Tse-tung, etc.) qui sont les produits de leur environnement.
De façon plus générale, quelle que soit l’époque, deux grandes forces s’affrontent constamment : les radicaux qui proposent le changement et les conservateurs qui y résistent. Selon les temps, ces mouvements prennent différentes formes et noms mais, au fond, le combat reste le même. Comme disait le prince de Salina dans “Le Guépard” : “Il faut que tout change pour que rien ne change”.
Les leçons de l’histoire : la morale
La morale est l’ensemble des règles par lesquelles une société guide le comportement de ses membres pour préserver sa stabilité.
Chaque société, selon son environnement, génère son propre code moral : un ensemble de règles implicites qui valorisent certaines qualités et attitudes nécessaires à la survie du groupe.
Les codes moraux sont différents selon les époques. De même, selon les lieux, les valeurs morales de sociétés contemporaines peuvent être complètement différentes. Mais au-delà des spécificités, la leçon importante est que toute société possède ses codes moraux. Ils sont universels.
Les leçons de l’histoire : la religion
Pétrone, un écrivain romain du temps de Néron, disait que “c’est la peur qui a d’abord crée les dieux”.
Les gens avaient peur de ce qu’ils percevaient comme des forces cachées dans les éléments naturels (le ciel, les océans, le vent, les pluies, les arbres, etc.). Pour calmer ces peurs, la religion et ses prêtres ont fourni des dogmes (personnification et vénération des forces) et des rituels (sacrifices, incantations et prières).
Au fil du temps, les dogmes et les rituels se sont étendus et sophistiqués. La religion a fini par devenir une force politique qui supporte la morale et la loi de sa société (dans le cas contraire, elle est combattue).
Avec l’avènement de la science, certains pensaient que les religions disparaîtraient. Mais l’histoire de la religion nous apprend que la religion a de nombreuses vies et qu’elle peut prendre différentes formes.
La peur est éternelle et universelle. Pour l’affronter, l’homme a besoin d’avoir foi en quelque chose. C’est ce besoin d’espoir qui fait que la religion est probablement nécessaire à l’homme. L’étude de l’histoire nous montre qu’aucune société n’a pu maintenir une bonne vie morale sans l’aide de la religion.
Les leçons de l’histoire : l’économie
L’économie nous apprend que toute l’histoire humaine se résume à des transactions économiques. Ces transactions portent sur l’alimentation, l’énergie, les biens matériels et symboliques (pouvoir et influence). Ces transferts ont lieu entre les individus et entre les groupes.
Sans interprétation économique, nul ne peut comprendre l’histoire. Les richesses de l’Egypte de Cléopâtre ont revitalisé l’Italie d’Auguste. Les Croisades, comme les guerres de Rome avec les Perses ont été des tentatives de l’Ouest pour s’approprier les routes du commerce de l’Est. La banque des Médecis a financé la Renaissance florentine. La Révolution française a été une redistribution des richesses de l’aristocratie vers la bourgeoisie.
Les leaders motivent les peuples à l’action en exaltant leur passion grâce à l’appel aux nobles sentiments. Mais les véritables raisons sont souvent des intérêts économiques.
La perspective économique nous apprend que l’histoire est un cycle en deux phases. A une phase calme et lente d’accumulation des richesses – de plus en plus fortement ressentie comme une injustice par les outsiders – succède une phase de crise, motivée par les agitateurs contestataires, qui aboutit à une redistribution au profit d’une nouvelle élite restreinte. Puis le cycle se répète.
Les leçons de l’histoire : la guerre
Sur les dernières 3421 années d’histoire, seules 268 années n’ont pas connu de guerres. L’historien constate que, quel que soit le système politique, la guerre est une constante de l’histoire.
Les causes des guerres sont les mêmes que celles des compétitions entre les hommes : acquisition, pouvoir et fierté. Les enjeux : la nourriture, les terres, le matériel, l’énergie et les richesses.
Les historiens de la guerre pensent que les conflits profonds ne peuvent être résolus par la discussion. Au final, un résultat politique est toujours le produit d’un rapport de force.
Et la force, c’est la puissance militaire. Qu’il s’agisse de son ombre discrète mais dissuasive dans une négociation ou de sa manifestation directe par la guerre. Rome a imposé son ordre politique sous l’empereur Auguste non pas par la discussion mais par sa force militaire.
Les leçons de l’histoire : le cycle éternel de la croissance et de la décadence
Au final, l’historien constate que l’histoire se répète parce que la nature humaine ne change pas. Les hommes répondent toujours de la même façon aux mêmes stimuli (envie, peur et danger).
Pour le comte de Saint-Simon (1760-1825), l’histoire humaine alterne entre deux phases : une phase critique (union collective) et une phase organique (crise collective et retour à l’individuel). Dit autrement, c’est le cycle de la croissance et de la décadence.
Les phases de croissance sont portées par la créativité, l’initiative et la volonté de rares individus. Ces hommes sont animés d’une énergie positive qu’ils puisent dans leur environnement culturel.
Quant aux phases de déclin, elles résultent du fait que toute économie en croissance engendre des inégalités de richesses. La société finit toujours par se diviser entre gagnants et perdants.
En conclusion, les historiens restent optimistes sur le potentiel des hommes. Ils constatent que l’histoire est essentiellement le résultat des initiatives individuelles et ils en déduisent que tout reste possible (on retrouve ici l’idée du Cygne Noir). Cependant, jusqu’ici, le possible a toujours été la répétition de l’histoire. La forme change mais le fond demeure.
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Pour aller plus loin : Lire le livre “Les leçons de l’histoire” (Lessons of history).
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