Dans Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, le professeur d’histoire Yuval Noah Harari revisite tout le parcours de l’espèce humaine. Son objectif est de nous expliquer comment l’humanité a conquis le monde et de nous inviter à réfléchir sur la situation actuelle.
Il s’agit d’une véritable performance car il le fait de façon brève (moins de 500 pages) et avec clarté. Par ailleurs, ses arguments sont très convaincants – même s’ils ne font pas consensus chez tous les historiens.
Sa théorie centrale est que l’évolution de l’espèce humaine a été marquée par trois révolutions majeures :
#1 : La Révolution cognitive qui a permis aux hommes de coopérer, à une échelle toujours plus importante, grâce à des mythes imaginaires communs de plus en plus sophistiqués.
#2 : La Révolution agricole qui a entrainé la transition d’une société nomade (chasseur-cueilleur) à une société sédentaire (cultivateur).
#3 : La Révolution scientifique : ou quand les conquêtes de savoir et de territoire se mélangent pour redessiner la carte du monde.
L’autre remarque en filigrane concerne le rôle de ces révolutions et peut suprendre de la part d’un historien. En effet, l’auteur se demande si ces révolutions ont réellement contribué à améliorer le bien-être de l’homme. Un historien qui s’interroge sur le bonheur ? Voilà quelque chose qui n’est pas anodin. Et vous verrez pourquoi à la fin.
Dans cet article, je vais synthétiser les idées importantes. Puis, nous verrons quels sont les enseignements que nous pouvons en retirer.
# 1 : La Révolution cognitive
Il y a quelques millions d’années, le genre Homo (humain) vivait dans la peur constante des prédateurs. Les humains se situaient en effet au milieu de la chaîne alimentaire. Ils chassaient uniquement les petites bêtes et pratiquaient essentiellement la cueillette. Puis, 100 000 ans avant notre époque, l’homme s’est progressivement retrouvé à la tête des espèces vivantes, avec l’essor de l’Homo sapiens.
Cette évolution a été si rapide que ni l’écosystème ni l’homme lui-même n’ont eu le temps de s’ajuster à la situation. Regardez le style majestueux et l’assurance des prédateurs (lions, tigres, etc.) et regardez les hommes. En très peu de temps, nous sommes passés du statut des opprimés de la savane à celui des maîtres de la nature. Cette évolution trop rapide fait que nous sommes remplis de peurs et incertains sur notre situation. Et lorsque l’on donne du pouvoir à quelqu’un d’inquiet, cela peut s’avérer dangereux.
L’invention du feu
Quelles ont été les étapes significatives de cette évolution ? Il y a d’abord eu la domestication du feu. Le feu a servi d’arme contre les prédateurs ainsi que comme source de lumière et de chaleur. Mais la technologie du feu a également servi pour l’alimentation. Selon certains spécialistes, l’apparition de la cuisine aurait contribué à l’augmentation du cerveau en raccourcissant le tube digestif.
Le développement du langage
Comme son nom l’indique, la Révolution cognitive a démarré avec l’apparition de nouvelles facultés cognitives : de nouvelles façons de penser et de communiquer sont apparues entre 70 000 et 30 000 ans.
Auparavant, les capacités cognitives (apprentissage, remémoration et communication) d’un Sapiens étaient très limitées. Mais à la suite de probables mutations génétiques accidentelles, la structure interne du cerveau du Sapiens s’est modifiée.
Il a alors commencé à développer un véritable langage (et non plus uniquement un système de communication limitée). Homo Sapiens est ainsi devenu un animal social. Ses compétences sociales sont devenues la clef de sa survie.
Les Sapiens étaient des êtres relativement faibles. Le developpement du langage leur a apporté en avantage décisif en leur permettant de coopérer efficacement en grand nombre. A ce titre, la Révolution cognitive a été une étape décisive dans l’élévation du Sapiens dans la hiérarchie des espèces vivantes.
L’auteur précise qu’un langage sophistisqué permet plusieurs choses : 1/ Il permet de transmettre des informations très précises; 2/ mais il permet également de communiquer sur des choses qui n’existent pas (ou que l’on ne voit pas). Toutes les légendes, les mythes et les religions sont nés de la Révolution cognitive. La capacité de création des mythes donne au “Sapiens conteur d’histoire” une aptitude pour faire coopérer en masse des individus ne se connaissant pas. En conséquence, depuis cette révolution, les Sapiens vivent dans une double réalité : objective et imaginaire.
“La coopération humaine à grande échelle reposant sur des mythes, il est possible de changer les formes de coopération en changeant les mythes, en racontant des histoires différentes.”
# 2 : La Révolution agricole
La Révolution agricole a été une modification radicale du mode de vie. Progressivement, les Sapiens ont réalisé que certaines espèces de végétaux et d’animaux pouvaient être domestiquées. La culture et l’élévage se sont développés et les premières techniques d’agriculture sont apparues.
Une nouvelle organisation sociale
En devenant sédentaire, l’homme a perdu sa connexion avec la nature. De plus, plusieurs petits changements se sont accumulés de façon non linéaire : plus de bouches à nourrir, une alimentation moins diversifiée (risque de mauvais récolte), apparition de nouveaux types de maladies, etc.
Tous ces changements ont modifié l’organisation sociale des hommes et ont eu un profond impact sur leur nature. Auparavant, le territoire constituait le foyer commun. Avec l’apparition des constructions privées, chaque paysan s’est attaché à son terrain et l’accumulation des biens a commencé. C’est ainsi que la Révolution agricole, en restructurant les sociétés humaines, a permis la naissance des villes peuplées et la constitution des empires. Ces empires témoignent d’ailleurs d’un mouvement d’unification de l’humanité qui s’est effectué à travers l’universalisme et l’évangélisme des pièces (le commerce), de l’épée (la guerre) et de la prière (la religion).
Néanmoins, il est important de réaliser que nos cerveaux et nos instincts biologiques n’étaient pas (et ne sont toujours pas) configurés pour ce mode de vie moderne. Les millions d’années pendant lesquelles nos ancètres ont évolué en petites bandes de chasseurs-cueilleurs composées de dizaines d’individus sont encore gravées dans notre ADN.
Les mythes : un ordre imaginaire incorporé dans le réel et intersubjectif
En fait, au-delà des conditions matérielles, ce sont les mythes mobilisateurs (et l’invention de l’écriture) qui ont permis aux hommes de se coordonner et de fonctionner à une échelle toujours plus importante. Aux petits mythes qui permettaient aux Sapiens de vivre ensemble ont succédé des mythes plus puissants et mieux construits. Dit autrement, nous sommes passés de la vénération de l’esprit du chêne à la croyance en la démocratie, aux droits de l’homme et au libéralisme.
Oui, pour Yuval Noah Harari, tous nos principes fondateurs ne sont que des mythes, soit des ordres imaginaires. Mais cela ne veut dire qu’il s’agit de mensonges. Pour qu’un mythe se diffuse, il faut généralement qu’il emporte l’adhésion de ceux-la même qui tentent de le propager. La violence ne suffit pas. Il faut de vrais croyants. Alors, comment expliquer qu’autant de personnes croient en un ordre imaginaire ? Il y a trois raisons principales :
L’ordre imaginaire est incorporé au monde matériel : il est transmis par l’éducation. Dès notre enfance, nous apprenons à penser d’une certaine façon et à nous conformer à des normes. Nous le constatons également lorsque nous observons les actions de ceux qui nous entourent : leurs croyances renforcent les nôtres.
L’ordre imaginaire façonne nos désirs : nos désirs sont généralement façonnés par les mythes dominants de notre époque. Pour paraphraser le philosophe René Girard, nous désirons ce que nous voyons les autres désirer. Vous pouvez ici penser au désir consumériste de prendre des vacances à l’étranger. Ou encore au désir romantique : “Suis donc ton coeur !”.
L’ordre imaginaire est intersubjectif : il existe dans la conscience subjective de plusieurs personnes. Songez par exemple à la monnaie. Si un individu arrête de croire en sa valeur, cela n’aura aucun impact sur la monnaie. Par contre, si une grande partie de la population cesse d’y croire, alors la monnaie n’aura plus aucune valeur.
# 3 : La Révolution scientifique
Vers l’an 1500, les hommes ont adopté une croyance d’un type nouveau : la foi en la science. Ils se sont dits qu’ils pouvaient augmenter leurs capacités en investissant dans la recherche scientifique.
C’est une foi d’un type nouveau car la croyance en la science consiste à adopter une démarche selon laquelle il faut d’abord reconnaître que l’on ne sait rien. Elle s’oppose donc aux anciennes traditions du savoir qui affirmaient que tout ce qui devait être su était déjà connu.
Le savoir qui est évoqué ici est le savoir utile. Il ne s’agit pas du savoir qui tente de convaincre en apparaissant comme une vérité. Il s’agit du savoir qui donne du pouvoir. C’est-à-dire qui permet de faire de nouvelles choses. C’est le savoir moderne, celui qui confond souvent science et technologie.
Vers le 20ème siècle, l’idéal du progrès a pris un coup dans l’aile. Le progrès n’a pas répondu aux attentes de la société civile. Par contre, il a produit des armes de plus en plus meurtrières (bombes atomiques).
Mais vers la fin du 20ème siècle, la science est revenue aux honneurs avec de nombreuses promesses. Elle nous dit notamment que les maladies, la guerre, la vieillesse et la mort ne sont pas nécessairement notre destin. Ce ne sont que les résultats de notre ignorance actuelle; un jour nous pourrons les surmonter.
Selon l’historien, l’objectif ultime non avoué de la Révolution scientifique est d’apporter à l’humanité la vie éternelle. Certains chercheurs reconnus affirment qu’en 2050, nous serons a-mortels (en l’absence de traumatisme fatal – accident ou maladie – notre vie pourra être prolongée à l’infini).
Malheureusement, en énonçant cette hypothèse, l’auteur ne se pose pas la question de savoir s’il ne s’agit pas là d’un mythe moderne. Ou plutôt d’un ancien mythe renouvelé. Rappelons-nous en effet qu’auparavant les savants de l’époque (les alchimistes) recherchaient déjà la vie éternelle avec la pierre philosophale.
Voilà donc, selon l’historien, les trois raisons qui ont fait que l’homme est passé du statut de victime de la savane à celui de maître du monde : révolution cognitive, révolution agricole et révolution scientifique. Mais cette évolution nous a-t-elle réellement été si bénéfique ?
Et le bonheur dans tout ça ?
“Il n’y a ni bonheur ni malheur en ce monde, il y a la comparaison d’un état à un autre, voilà tout.” – Alexandre Dumas.
Le Comte de Monte-Cristo
Le bonheur est lié aux espérances humaines. Il dépend des attentes subjectives que l’on fonde par rapport à nos conditions objectives. Plus l’écart est grand et plus nous serons malheureux.
L’homme d’aujourd’hui est-il globalement plus heureux que le Sapiens chasseur-cueilleur d’hier ? L’individu contemporain est-il plus heureux que l’homme communautaire d’hier ? Dit autrement, est-ce que le monde d’aujourd’hui est adapté à nos besoins véritables ? Rien n’est moins sûr, nous répond l’historien.
Il y a généralement trois façons pour essayer de penser le bonheur :
L’approche psychologique. Voir le bonheur comme un bien-être subjectif. A ce moment, il devient compliqué de tenter de le mesurer. Par exemple, pour certains, il s’agira de donner du sens à sa vie.
L’approche biologique. Considérer le bonheur comme la manifestation de substances biochimiques (sérotonine, dopamine, ocytocine, etc.). Selon cette vision, bonheur et malheur n’ont une utilité que dans la mesure où ils soutiennent la survie et la reproduction. Dans cette approche déterministe, nous sommes tous programmés à un niveau moyen différent de bohneur et nous connaissons occasionnellement quelques écarts autour de la moyenne. Ce serait la raison pour laquelle il y aurait des gens toujours joyeux et d’autres toujours malheureux. Les facteurs sociaux et psychologiques jouent un rôle mais il est considéré comme marginal.
La vision des philosophies et religions traditionnelles. Le bonheur se situe dans la connaissance de soi. Comprendre qui l’on est véritablement sans s’identifier à ses envies ou à ses émotions.
D’Homo sapiens à Homo Deus ?
“L’histoire a commencé quand les hommes ont inventé les dieux. Elle s’achèvera quand ils deviendront des dieux.”
De façon générale, l’auteur est plutôt pessimiste sur l’avenir de l’homme. Il considère que la Révolution scientifique va probablement aller trop loin et qu’elle risque d’être une révolution biologique. Cela signifierait la fin des cycles répétitifs de l’histoire.
Le processus de sélection naturelle pourrait être remplacé par la volonté de l’homme. Ce qui ferait de l’homme un Dieu (Homo Deus). Cela pourrait se faire de trois façons :
Le génie biologique : modifications génétiques volontaires;
Le génie cyborg : mélange de parties organiques et non organiques (membres mécaniques);
Et enfin, le génie de la vie inorganique : création de virus et de programmes informatiques totalement autonomes.
Au final, le livre Sapiens : Une brève histoire de l’humanité nous invite à nous arrêter quelques minutes pour nous interroger. Faut-il avancer coûte que coûte et peut importe la direction ? Ou ne vaudrait-il pas mieux prendre le temps de la réflexion pour nous demander ce que nous voulons devenir ? Personnellement, je trouve que ce conseil s’applique autant à l’échelle collective qu’à l’échelle individuelle.
Le second conseil général que nous pouvons dégager de ce livre c’est d’utiliser le pouvoir des mythes à son avantage : choisissez vos croyances motivantes et éliminez les croyances limitantes. Définissez le mythe qui vous convient et laissez-vous porter par votre Révolution (cognitive) personnelle.
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